Philippe GELUCK

Bruxelles, 1954

geluck.com


À bientôt 59 ans, toujours en couple avec son célèbre Chat, Philippe Geluck nous assure que les anniversaires ne sont pour lui qu'un chiffre ordinaire. Avec ses lunettes à la John Lennon, tout de noir vêtu, il ressemble un rien à Steve Jobs. Bien calé dans son vaisseau amiral, amarré au cœur d'Ixelles, face à son "Mac" dernier cri, il travaille sur des gravures anciennes du journal "Le Parisien". Il les agrémente de phylactères désopilants. Rencontre.

Le lieu de la rencontre a été facile à fixer. Chez lui ! Un ancien atelier transformé en loft au cœur de la capitale de l'Europe. Pas du tout impersonnelle, la tanière de ce Belge célèbre, dessinateur prolifique de son état, qui travaille avec plusieurs de ses collaborateurs à la production de ses films d'animation et à la gestion de ses licences. Dans ce bel espace, il fait des semaines de quatre-vingt-dix heures. On devine son amour pour le papier. Une vieille presse d'imprimeur, hors usage mais belle à ravir, trône à l'entrée de son hall bureaux parmi les plantes et ses dernières sculptures. Je l'appréhende de trois quarts : pantalon, pull et veste noirs. Il est assez grand le Docteur G. ; élancé, assez sportif finalement, typé quinqua dynamique qui ne cache pas son âge. Il n'y a pas de doute. C'est bien lui, avec sa petite fossette au menton à la Kirk Douglas !

On ne m'avait pas prévenu : Geluck est un véritable démiurge.
C'est avec gentillesse et disponibilité qu'il me parle de son emploi du temps. Il me propose un café. Moi qui voulais un muscadet. Il parait qu'il ne boit jamais d'alcool. Il n'y a qu'à voir l'ordre, le sérieux qui se dégage de cette ruche de graphistes pour comprendre que, derrière le dessinateur cool et sympa, présenté par les médias, se cache le démiurge perfectionniste d'une société de production qui a pignon sur rue sur le plan international. De la ligne claire du Chat à la production audiovisuelle, en passant par les produits dérivés ou sa nouvelle application, sur laquelle il converse régulièrement. Rien ne sort de la société "SALUT ! CA VA ?" sans son aval. Malgré une présence active dans les médias depuis plus de 30 ans, Philippe Geluck est finalement loin de l'image du Docteur G., ce toubib peu scrupuleux, prompt à distiller de mauvais conseils comme à l'époque de l'émission "La Semaine Infernale" avec le délicieux Jacques Mercier. Il n'a pas beaucoup de temps à me consacrer, mais il le prend…

On m'avait prévenu : Geluck aime les beaux objets…
Pendant qu'il parle, j'aperçois une ancienne table à dessins en bois d'architecte, avec pédale de levage et contrepoids pour faciliter les manipulations du plateau. Elle est conservée dans un espace vitré, comme un vestige du siècle dernier. Une relique ? La table d'Hergé ? Non, c'est la table où il dessine. Sa "Rolls", son autel lorsqu'il dessine au feutre, à l'abri du monde, éclairé par deux lampes industrielles noires. Sur ses étagères, j'aperçois ses nombreux trophées, mais aussi les traces de ses gros chantiers en cours : un roman, un scénario, une pièce de théâtre, "La Minute du Chat", une émission quotidienne de mini-sketches burlesques diffusée en Belgique et en France, les dessins de sa nouvelle application. L'auteur des petits chefs d'œuvre d'humour caustique diffusés dans "La Semaine Infernale" a construit son territoire entre humour noir, détournements de dessins et coups de griffe. Sa réussite est flagrante mais contrairement aux apparences, il n'est pas mondain, il ne se la "pète pas". Les vernissages, les fêtes parisiennes… De tout cela, il n'est guère friand. Il préfère cultiver l'esprit de famille et l'amitié de quelques proches.

On m'avait prévenu : Geluck est un grand fidèle !
Il parle souvent de son épouse. Un sacré revival, en somme, pour ce comédien de formation, qui nous fait tant sourire, sans vulgarité, ni coups bas dans les pages de notre quotidien préféré depuis 1983. Il ne semble pas connaître la fatigue, ni le ressentiment. Elevé au rang de Commandeur de l'ordre de la Couronne par Albert II en 2009, pour avoir donné du bonheur et de la joie. N'en déplaise aux éplucheurs de coccinelles et aux esprits chagrins qui jalousent parfois sa grande popularité, Geluck a vraiment de la chance.

On m'avait prévenu : Geluck n'est pas un exilé fiscal !
Ses origines modestes, il ne les oublie pas. Elles lui font garder la tête froide à ce "gamin de Bruxelles". Il faut dire qu'il vient du monde du théâtre ! Sa famille est celle des années 50 : un papa travailleur, une maman au foyer. Des lectures d'enfance inoubliables. Geluck n'a rien du bourgeois bohème. Il a eu la chance d'avoir eu des parents cultivés, mais surtout aimants : un père et une mère avec des valeurs, qu'il a partagés avec son frère, Jean Christophe, artiste-peintre et graphiste également. Pendant quelques minutes, il m'explique les origines de son humour, un humour pris au biberon de Hara Kiri, des Monthy Pithon, de Siné et de Desproges. Après sa sortie de l'Insas, il anime rapidement "Lollipop", entre 1978 et 1985, une émission devenue culte en Belgique, avant de se mettre à dessiner le premier chat sur un carton d'invitation lors de son mariage avec Dany en 1980. Son papa, Didier, est un modèle. Militant communiste, comme Yves Montand et Picasso, il exerça mille métiers. Il fut d'abord dessinateur de presse avant de devenir distributeur de films des pays de l'est. Obligé d'écouter Mozart et de regarder Polanski, le petit Philippe fut privé de Walt Disney et de culture américaine toute son enfance. Un beau cas de maltraitance culturelle éducative.

On m'avait prévenu : Geluck est un "tintinophile".
A l'occasion de sa présence à la BRAFA en janvier dernier, il a dévoilé en avant-première, sa dernière sculpture, intitulée "RAWAJPOUTACHA", rendant un hommage indirect à Hergé. Les tintinophiles de service comprendront l'origine de ce pseudo "bizarre" imprononçable, en relisant "Le Lotus Bleu". En réalité, cette œuvre de bronze est un autoportrait ! On y distingue le Chat assis sur une trentaine d'oisillons affamés dans une des sept positions du Bouddha. Une interprétation freudienne sur une musique de Ravi Shankar s'impose… Car le fakir, c'est celui qui produit des prodiges, mais qui est condamné au silence, à la solitude et au renoncement. Pas vraiment le style de la maison. Nous le savons, l'humour belge, c'est ce savant mélange de burlesque, de surréalisme et d'autodérision. Popularisé en France, le Chat est devenu un ambassadeur de cet esprit. La truculence des Belges s'exporte bien ! Le Chat devrait s'exposer prochainement à New York, dans l'Ouest de Manhattan pour l'ouverture d'une galerie branchée dans le quartier de Meatpacking District. Son chat, sa bataille, c'est surtout une lutte permanente contre le temps. Le personnage fétiche est aujourd'hui trentenaire comme ses deux enfants, Antoine et Lila. Il nous revient dans un album intitulé "Le Chat Erectus". Pas d'interprétation du titre svp. Il s'agit d'un ouvrage plus incisif, moins gentil, plus centré sur l'actualité, avec des dessins plus noirs.

On m'avait prévenu : Geluck aime le chocolat.
L'adorable chien de Marylin, l'attachée de presse, musarde entre les tables de la salle de réunion, reniflant je ne sais quoi ! Chercherait-il du chocolat ? Philippe Geluck et Liège, ce n'est pas seulement une histoire de pralines. C'est une histoire de complicité comme avec Dany Liehrmann ou Jean Galler. Visage émacié, sourire doux, diction parfaite, Philippe Geluck continue de se raconter. Il devient touchant quand il me montre ses premières aquarelles réalisées dans les années 70. On y perçoit ses premières émotions artistiques marquées par Topor, Otto Dix, Sempé, Chaval mais surtout Folon, l'autre vieille gloire de la Belgique exilée en France avec Pierre Alechinsky. « Je continuerai à dessiner, à écrire et à peindre, à publier des albums, mais d'une autre façon. Je continuerai à alimenter ma nouvelle application par un dessin quotidien car le dessin reste ma respiration », me confesse-t-il.

On n'avait pas prévenu : Geluck est un iconoclaste délirant.
On lui donnerait le bon dieu en confession. « Avec le temps, j'ai accumulé cent ou deux cent ouvrages et dictionnaires anciens, mais également des revues du 19e siècle. J'adore détourner le sens de ces gravures d'actualités. C'est mon côté iconoclaste et délirant ! » Son humour, éminemment touchant, toujours en équilibre instable, a pour but de faire rire tout en suscitant la réflexion. Mais ce qui domine dans les 7 vies et les mille activités de ce dessinateur prolifique, qu'on écoute d'autant plus attentivement qu'il emploie une belle langue française, c'est sa capacité de se remettre en question… L'aura-t-on compris, autant qu'un spectacle, arrêter les publications du Chat dans la presse quotidienne est une véritable catharsis pour lui. Un acte de libération, de renaissance artistique.

On ne m'avait pas prévenu, mais j'en suis certain maintenant, Geluck sait encore nous étonner… C'est sans doute pour cela qu'on l'aime bien à Liège, avec ou sans langues de chat, mais surtout sans langues de bois.



Geluck en sept dates

1954 : Naissance de Philippe Geluck à Bruxelles
1960 : Son père lui fait découvrir l'univers de la BD ; sa mère, Mozart
1975 : Premiers pas au Théâtre National
1979 : Naissance du couple Geluck-Malvira
1983 : Le 22 mars, le Chat apparaît pour la première fois dans les pages du journal "Le Soir"
1987 : Il crée le Docteur G. et écrit des centaines de textes pour "La Semaine Infernale" et le "Jeu des Dictionnaires"
1999 : Il devient une vedette de la télévision française ; il enregistre "Vivement Dimanche Prochain", "On va s'gêner", "On a tout essayé"…
2013 : Le Chat a 30 ans ! Il fait son cinéma

Lucien Rama, PriviLiège, 2013

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